Pendant deux ans et demi,  dans le blog Cavares, j’ai tenu les chroniques des Numériciens, une tentative de faire comprendre ce qu’est le monde des numériciens, cette tribu étrange qui produit chaque jour des algorithmes et du code. Je voudrais y revenir car la pandémie a changé notre rapport aux machines, des digues ont été brisées et le numérique est mantenant partout.

J’étais parti du livre de Michel Serres « Petite Poucette ». Celui-ci utilise la métaphore de Saint Denis portant sa tète sous son bras. Il compare le saint céphalophore à notre contemporain avec son portable sous le bras. Nous sommes devenu prisonniers de cet outil qui sert de mémoire, de moyen d’écouter et parler aux autres, de moyen de calculer et réfléchir. Ne risquons nous pas de devenir totalement prisonnier de cet outil  et de ses créateurs. Car s’il y a une tête coupée, c’est qu’il y a des coupeurs de têtes, des gens qui passent du temps à fabriquer ces nouveaux objets que nous portons sous notre bras. Ces jivaros modernes n’ont de cesse de créer une intelligence artificielle,  qui se substitue à la notre, des robots qui prennent notre travail. Cette tribu, que j’appelle les « numériciens », les adorateurs du chiffre crée en permanence de nouveaux outils numériques qui modifient jusqu’au quotidien de notre vie. Au cinéma, l’image du développeur de code est souvent celle d’un geek sale et mal coiffé, monomaniaque. Il fait peur avec ses Héros effrayants Steve Jobs le furieux, Jeff Bezos le magnat, Egon Musk le fou, Ses croyances dans le transhumanisme et l’immortalité inquiètent aussi et sa capacité supposée à tout contrôler. Ses organisations géantes, les GAFAM  (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), capables de dominer le monde terrorisent de l’extrême droite à l’extrême gauche. Tout le monde est contre les GAFAM et explique qu’il faut les détruire, les mater. En même temps, jamais ces outils n’ont été autant utilisés.  Dans son livre « l’enfer numérique : Voyage au bout d’un like »,  Guillaume Pitron[1] souligne la contradiction de la jeune génération. Nous tous des Greta Thunberg à la maison qui nous expliquent qu’il faut prendre soin de la planète, éviter de prendre l’avion, de chauffer trop, de gaspiller, avoir des jardins partagé pour cultiver nos légumes, et qui en même temps passent leurs temps sur leur smartphone, dialoguent via internet au lieu d’écouter les conversations à table. 

Dans les cent chroniques du site Cavares, j’ai expliqué que le numérique  est incontournable. Nous sommes bientôt huit milliards d’individus sur terre.  Nous ne pouvons plus communiquer entre nous, nous comprendre, nous entendre sans l’aide d’outils puissants. Et en même temps notre esprit est encore plein d’images et d’idées du temps d’avant. Nous savons ce qu’est un laboureur ou un moissonneur. Cela nous évoque des images, des idées. Pourtant nous ne savons plus labourer ou semer. Même un agriculteur ne sait plus le faire sans machines, sans tracteur. Nous croyons être capables de comprendre des temps anciens, alors qu’ils définitivement partis, et que nous avons oublié l’essentiel de leurs modes de travail. Nous n’avons pas d’image de ce qu’ai J’ai arrêté ces chroniques car j’estimais  n’avais rien de plus à dire sur le sujet. 

Et arrive la pandémie. Pour la première fois depuis les années quarante et les séquelles des deux guerres mondiales, l’espérance de vie a chuté. Une étude menée par une équipe internationale de chercheur a objectivé le fait par l’observation des données dans vingt neuf pays développés. En moyenne, l’espérance de vie en 2020 a diminué d’une demi année[2].

Pour nous protéger de la pandémie, nous sommes revenu à la méthode la plus ancienne, l’isolement. Malgré le développement de vaccins nous sommes toujours confinés, nous protégeons avec des masques, des gants, du savon. Et du coup le numérique envahi tout.

Les datas bases permettent de suivre l’évolution de la pandémie. Les applications de ventes permettent de s’approvisionner par correspondance. Les vidéoconférences permettent de garder le contact avec sa famille, ses amis, d’assurer les formations. Les QR-Codes servent de passeport, les réseaux sociaux font circuler l’information à la vitesse de la lumière. Partout le paiement sans contact remplace la monnaie et les billets.  D’un seul coup,  même les grand-mères les plus rétives à l’informatique, les collapsologues les plus endurcis, s’y sont mis. « Comment faisait-on sans WhatApps », s’interroge un organisateur d’événement désemparé ?

Le déluge du numérique envahit tout, que nous le voulions ou non. 

If it keeps on rainin’, levee’s goin’ to break

And the water gonnna come in and we’ll have no place to stay

Si la pluie continue de tomber, les digues vont se briser

Et l’eau va venir et nous n’aurons plus d’endroit ou rester

Well all last night I sat on the levee and moan

Thinkin’ ’bout my baby and my happy home

Oui, toute la nuit dernière je suis resté 

A pleurer sur la digue en pensant à ma chérie et à mon foyer heureux

If it keeps on rainin’ levee’s goin’ to break

And all these people will have no place to stay

Si la pluie continue de tomber, les digues vont se briser

Et tous ces gens n’auront plus d’endroit ou rester

« When the levee break » fut enregistré par Kansas Joe McCoy et Memphis Minnie en 1929 avant d’être repris par Led Zeppelin. La chanson fait référence à la grande crue du Mississipi en 1927. Elle priva de maisons et de travail des milliers de personnes. Ils durent quitter les champs de coton pour remonter vers le Nord, les grandes villes de l’Ohio où l’automobile donnait de travail. Ainsi naquit Motor City, ainsi les afro-américains quittèrent une économie paysanne pour entrer dans la deuxième révolution industrielle. 

Aujourd’hui, la pandémie nous attaque par vagues successives, emportant tout sur son passage. Des milliers d’entreprises disparaissent, d’autres naissent au coin de la rue. Un monde nouveau nous submerge. Les technologies de l’information ne sont pas si récentes. Il y a maintenant soixante ans qu’existent les ordinateurs. Mais jamais ils n’ont parue aussi incontournables qu’aujourd’hui.

Zeparella : groupe féminin spécialisé dans les reprises de Led Zeppelin

[1] Jérôme Pitron « l’enfer numérique : Voyage au boût d’un like » (les liens qui libèrent ; 2021)

[2] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/09/27/le-covid-19-a-fait-plonger-l-esperance-de-vie-en-2020_6096211_3244.html