Robert Chiousse est né le 30 janvier 1922 au Pontet (Vaucluse). Il aurait eu cent ans ce mois ci.
Il a été formé comme forgeron, serrurier, maréchal-ferrant. À partir de 1936, à 14 ans, Il travaille comme soudeur dans l’usine AGRICOLA. Cette usine de fabrication d’engrais à base de phosphate est située au quartier Réalpanier du Pontet. Ce beau blond de grande taille impressionne les filles et en particulier la jeune Suzanne Fouque. Elle est la fille du comptable et habite dans l’usine. Ceci ne plait pas à sa mère Marthe qui attend un meilleur parti pour sa fille qu’un ouvrier de l’usine. Elle espère sans doute en être débarrassée par le départ du jeune au service militaire.
Mais l’armistice du 22 juin supprime l’armée française et le service militaire. Pour les remplacer, les lois du 30 juillet 1940 et du 18 janvier 1941 créent les Chantiers de la Jeunesse dirigés par le Général De la Porte du Theil. Ils sont conçus comme l’étape ultime de la formation d’un jeune homme, et un outil essentiel de la Révolution Nationale auquel tenait le Marechal Pétain. Uniforme, salut militaire, entrainement physique, développement du caractère par des épreuves quasi initiatiques. Ils doivent aussi participer à la vie de la Nation par des travaux utiles comme l’exploitation forestière. Déboisement, production de bois de menuiserie, de papeterie, de charbon de bois marquent leur vie.
Robert Chiousse est convoqué pour y participer avec toute la classe 42 de la zone libre. Il part dans le Var en mars 42. Il y reste jusqu’en mai 43, avant de revenir à l’usine où il sera ramassé pour partir au Service du Travail Obligatoire (STO).
Le Service Obligatoire du Travail fut créé par une loi du 4 septembre 1942 et rapidement renommé Service du Travail Obligatoire car l’acronyme S.O.T prêtait à interprétation.
Le STO était une nécessitée vitale pour les allemands. En effet dès 1941, il est évident qu’ils doivent perdre une guerre de longue durée face à un ennemi supérieur en nombre et en ressources financières et industrielles. Ils doivent combattre L’URSS, la Grande-Bretagne et son empire, et les Etats-Unis d’Amérique. Démographiquement et industriellement, les forces sont déséquilibrées, même avec l’appoint des italiens, des hongrois et des japonais. L’Allemagne ne pouvait avoir à la fois des soldats pour le front et des ouvriers dans les usines d’armement.
Dès 1941, les allemands essayent de pallier ce manque avec les prisonniers de guerre et le volontariat dans les pays occupés. Il y a en effet 1,6 millions de prisonniers de guerre en Allemagne, et le gouvernement de Pétain pousse à la «relève», c’est à dire au départ de jeunes pour remplacer les pères de famille emprisonnés lors de l’armistice de juin 40. Ceci ne suffit pas. Les prisonniers de guerre sont pour beaucoup des paysans, incapables de prendre la place d’ouvriers spécialisés dans les usines d’armement. Or la base politique du régime de Vichy se sont les paysans. Pétain n’est pas un admirateur d’Hitler ou de Mussolini. Son modèle, c’est plutôt Franco ou Salazar, un conservatisme politique et social.
Par contre il n’a rien contre le fait d’envoyer en Allemagne des ouvriers dont il se méfie.
Mais les volontaires pour partir ne se bousculent pas. Participer à l’effort de guerre au coté des Boches n’est pas populaire. Après tout, les français s’étaient battus contre eux en 1870, en 1914 et en 1940. De plus ceux qui revenaient en France faisaient état de conditions de vie déplorables : salaires de misère, alimentation insuffisante, mépris de la population allemande. Ceux qui revenaient de permission ne se bousculaient pas pour y retourner.

Le Gouvernement de Vichy ne pouvait accepter cette situation. Il avait bien compris que son sort était lié à la victoire des nazis. Pour ne pas paraître de simples supplétifs des forces allemandes, ils firent le choix d’anticiper leurs demandes[1].
De mi 42 à juin 1943, le STO enverra 600 000 jeunes en Allemagne, répondant à toutes les demandes des allemands. Robert est revenu à l’usine de Réalpanier. De novembre 42 à mai 43, il reçoit trois convocations, auxquelles il ne répond pas. Finalement il est réquisitionné à la sortie de l’usine, et convoqué à la caserne de Salle à Avignon à 16h. Il a raconté la suite :
« Le départ a eu lieu le 12 mars 1943, à 21 heures, en gare d’Avignon ; il y avait foule et un tumulte impressionnant. Des SS étaient sur les marches-pieds des wagons. Vraiment un souvenir qui est toujours présent à mes yeux.
Avant d’arriver à Dijon, le train fut bloqué plusieurs par la sonnette d’alarme. Dans cette gare, permission de nous ravitailler pendant deux heures, puis nouveau départ, mais aux micros on nous annonça que tirer la sonnette d’alarme serait puni très sévèrement.
C’est ce qui arriva près de Montbéliard, où le train fut bloqué à bouveau. Le responsable se fit connaître et d’après les nouvelles connues plus loin, il aurait été fusillé.
Le trajet de notre convoi traversa Strasbourg, Stuttgart et arriva, sous les bombes, à Nuremberg. Attente durant trois heures debout sur le quai, ils nous annoncèrent que la seconde moitié du convoi remontait dans le train. Faisant partie de ce tronçon, je ne demandais rien et repartais vers un lieu inconnu. Finalement nous sommes arrivés à Dresde, ville frontière avec la Pologne où, du reste, était construite la fameuse ligne de défense comparée à la ligne Maginot. … Le voyage a duré plus de trois jours.[2]
Il arrive donc à Koenighutte en Silésie (aujourd’hui Chorzow en Pologne à environ 40 km d’Auchwitz-Birkenau). Il travaille dans une fonderie qui fabrique des blocs d’acier pouvant atteindre 8 tonnes, Ceux-ci sont utilisés après laminage pour fabriquer les rails sur lesquels sont montés les chenillettes des chars de combat. Le salaire est misérable, inférieur à celui que Robert touchait chez AGRICOLA. Il passe deux ans, dans des conditions difficiles dans cette usine et cette ville. Les allemands n’ont bien sur pas prévus d’avoir à loger et nourrir toute cette main d’œuvre.
Des camps de fortune sont implantés dans toute la Silésie. « 1000 à 1200 civils français vivent à Heydebreck sous l’autorité énergique du commissaire assistant aux Chantiers de la jeunesse François Bertrand ; 1800 se trouvent à Blechhammer, et 2500 à Auschwitz, sous la houlette du chef Georges Toupet. »
Robert Chiousse a encore décrit les conditions de logement dans les camps. « Nous étions logés dans des baraquements de 5 pièces attenantes et prévues pour 16 personnes. Des lits tout le tour-à deux étages- et un placard vraiment minuscule par personne. Au milieu une grande table, sans oublier un poêle qui était plus que nécessaire tant la température était plus que basse l’hiver ; j’ai d’ailleurs relevé de moins 15 à moins 20 degrés. Le camp qui abritait les 15 baraquements était situé à l’extérieur de la ville et avait pour voisins un camp de prisonnier de guerre russes, un d’anglais, et un d’italiens suite au dépôt des armes de cette nation. »
Aux mauvaises conditions s’ajoutent la peur des dénonciations. « Non seulement au camp il fallait avoir beaucoup d’attentions, police de surveillance, mais au travail et en ville, il y avait la gestapo, la police, mais aussi et surtout la milice française en civil. » Un français est tué au camp pour s’être plaint à la gestapo de vol de nourriture dans le colis envoyé par sa famille.

Enfin, les alliés débarquent et libèrent la France à partir du 6 juin. Le Pontet est libéré le 25 août 1944.
Mais la guerre n’est pas finie pour ceux qui sont en Silésie. Au début, il n’y a pas trop de bombardement, mais cela change dans la deuxième année. Finalement Robert et ses camarades apprennent par les prisonniers anglais qui écoutent la radio britannique la victoire des alliés. Ils sont libérés en mai 1945 par l’armée russe. Dans le désordre qui suit pendant un mois le ravitaillement devient encore plus difficile, et les ouvriers sont obligés de piller les stocks destinés au commerce. Sur les 302 000 français libérés, 47 000, dont Robert Chiousse partent vers Odessa sur la Mer Noire. Ils partent d’abord à pied jusqu’à Cracovie puis en wagon à bestiaux. Les travailleurs français sont emmenés avec les déportés juifs.
Ils attendent huit jours sur le port d’Odessa. Puis ils embarquent sur un paquebot britannique. Ce navire traverse les Dardanelles, coupées par un champ de mine. Lors du passage les russes ouvrent puis ferment le passage en déplaçant les barrages de mines. Un jour l’ambassadeur de France monte sur le bateau pour se rendre compte des conditions de vie. Les prisonniers juifs, rapatriés en même temps que les gens du STO se plaignent à l’ambassadeur de leurs collègues français. Mécontents, ceux-ci jettent les prisonniers juifs à l’eau. Les marins anglais se retrouvent obligés de les secourir.
Enfin le 1 mai 1945, le bateau arrive à Marseille.

« L’accueil a été fantastique : 12 coups de canon, les souhaits de bienvenue du Général de Gaulle, rien ne manquait. Après avoir complété bon nombre de circulaires, passé une visite médicale et surtout participé à une très belle réception, les bus nous conduisent à la gare Saint Charles où le départ eut lieu à 21 heures.
Inutile de vous raconter l’arrivée à Avignon. Jamais je n’oublierai les larmes de mes parents, de mes frères en rentrant chez moi. Pour moi, ce témoignage de cœur m’a largement payé le poids de l’exil, des souffrances endurées, de faim, de froid, de manque de nouvelles et de séparations. »
Terminons ce témoignage sur le STO en disant un mot de la suite après la guerre. Les travailleurs du STO apparaissaient moins comme des héros que les résistants, ils étaient aussi moins des victimes que les juifs, les gitans ou les homosexuels. Le terme de déporté fut progressivement réservé à ceux qui partaient vers les camps de la mort. Cet oubli relatif du STO a laissé une amertume compréhensible qui se voit dans le témoignage de Robert.
La suite est une autre histoire.
[1] Rafael Spina Histoire du STO (Perrin ; 2017)
[2] Yannick Rodrigues Le STO en Vaucluse (Etudes Comtadines ; 2006). L’auteur a recueilli la parole de Robert Chiousse. Celui-ci a en plus annoté son exemplaire du livre.
C est juste trop beau et merci beaucoup gros bisous
J’aimeJ’aime