– Bonjour, Amadou, veux-tu que je t’aide à faire tes devoirs ?

– Oui !

– Nous allons faire l’exercice rédigé au tableau par la maîtresse : « trouvez les deux mots qui sont dans le mot château » ; c’est quoi le premier mot ?

– Je sais pas.

– Mais si, cherche ! C’est le nom d’un animal.

– … ?

– regarde bien.

– … ???

– tu ne vois pas le mot chat ?

cha ?

– non, chat avec un t.

Chate ?

– Non, Amadou,  chatte, c’est la femme du chat, et ça s’écrit avec deux t ; donc ce n’est pas dans château. C’est chat au masculin ; le ne se prononce pas. Tu comprends ?

– Je crois.

– Maintenant le deuxième mot ?

– … ???

– C’est facile !

– … ???!!!

– tu ne vois pas le mot eau ?

au ?

– Non, O peux s’écrire o, ou au, ou encore eau ; ici c’est eau, E, A, U.

– Pourquoi ?

– C’est pour rappeler l’étymologie du mot, qui vient du latin aqua.

Ehau = Akoua ? Je ne comprends pas.

– ??? À vrai dire, moi non plus !

Ce dialogue est authentique. J’ai juste changé le nom de l’enfant. Il a eu lieu il y a quelques années. Mais durant ces dernières semaines de confinement, j’ai recommencé à aider des enfants à faire leurs devoirs. Et j’ai trouvé qu’il était toujours aussi difficile d’expliquer l’orthographe française. Pourquoi écrire pendant ? Pourquoi est-ce une faute d’écrire pandant, ou pendent, ou encore pandent, qui peuvent se prononcer de la même façon ?

L’article 1539 L’empire du français dans l’Histoire mondiale de la France m’a apporté un peu de clarté.[1]

Le français, langue maternelle et langue du Roi

En août 1539, le Roi François 1er édicte l’ordonnance de Villers-Cotterêts dite ordonnance Guillemine, d’après le nom de son principal rédacteur. Elle demande que tous les actes officiels, désormais, « soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement.»[2] L’objectif est de s’assurer que les justiciables comprennent bien les actes qui les concernent. « Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts » dit l’article 110. L’ordonnance consacre une évolution commencée depuis le XIIe siècle, l’abandon du latin dans les textes officiels. La langue doit être celle que comprennent tous les français. L’ordonnance n’interdit pas que le français soit celui parlé dans la province, mais prohibe explicitement le latin, dont l’emploi pouvait donner lieu à interprétation et ambiguïté lorsque l’on traduit à ceux qui ne connaissent pas cette langue.

Mais s’ils acceptèrent d’appliquer cette loi, les lettrés, notaires et hommes de loi s’interrogèrent sur la façon d’écrire ces mots. Il fallait que la langue du Roi de France soit l’égale en majesté de la langue du pape[3]. Il fallait que la langue des actes garde un peu du caractère  sacré du latin,  langue de la messe, des vêpres et de toutes les cérémonies catholiques jusqu’à Vatican II, dans les années 1960. « Ainsi le tens (c’est ainsi  qu’on orthographiait le mot en ancien français) devient-il le temps, par introduction du p de tempus .»[4]

L’écriture du mot devait dire deux choses, la façon de le prononcer et son étymologie. Comme toujours quand on veut faire deux choses à la fois, on le fait également mal. Mais cela permet d’établir une distinction entre ceux qui savent écrire le français et les autres. La maîtrise de la langue restera le signe d’une élite.

Certains objectent que cela permet de différencier le mot temps, du mot tant ou de taon.  Je leur conseille la technique du Gueuloir, préconisée par Gustave Flaubert[5] : lisez le texte à haute voix. Si la phrase vous paraît ambiguë ou incompréhensible c’est qu’elle est mal écrite. Utilisez aussi cette technique pour lire les textos de nos jeunes. Ils ont une inventivité orthographique et un sens de l’abrégé qui m’étonne toujours.

En attendant, un psychologue clinicien travaillant en environnement scolaire me disait : « il y a des familles qui sont en France depuis quatre générations, et ni les parents, ni les enfants ne savent écrire le français. C’est une atroce faillite. » 

Lycée Mignet à Aix en Provence, ancien Collège Royal fondé par Henri IV. Emile Zola, Paul Cézanne et Darius Milhaud y furent élèves, Marcel Pagnol y fut répétiteur.

[1] Histoire Mondiale de la France (édition du Seuil ; 2017) ; ouvrage collectif sous la direction de Patrick Boucheron ; celui-ci a aussi rédigé l’article 1539 L’empire du français.

[2] Texte complet de l’ordonnance publié sur le blog L’aménagement linguistique dans le monde de la CEFAN, la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord, rattachée à l’Université Laval de Québec. Les articles 110 et 111 de l’ordonnance sont également publiés sur le site legifrance.gouv.fr

[3] Article « le Génie de la langue Française » écrit par Marc Fumaroli dans l’ouvrage collectif sous la direction de Pierre Nora Les lieux de mémoire(Gallimard ; 1997)

[4] Patrick Boucheron (article cité)

[5] Voir le site de la BnF « brouillons d’écrivains »

Image d’en-tête : « Il y a plus de courage à mériter certaines flétrissures pénibles qu’a recueillir des applaudissements faciles » écrit à la plume sergent-major par Gabriel Fouque (1869-1946)