Les Lazarets
Sur la route entre Ansouis et Pertuis se trouvait une ferme qui s’appelait l’Hôpital (Elle a changé de nom aujourd’hui).
Ce type d’établissement existait souvent à proximité des villes ou des villages. Dénommé hôpital ou lazaret, il servait à confiner les malades, lépreux, pestiférés,… Les anciens ne connaissaient pas le mécanisme de transmission de la malade, mais ils avaient compris qu’en isolant les malades, il était possible de l’arrêter.
Le confinement n’est donc pas une nouveauté pour nous. Les masques non plus, ils protégeaient déjà les soignants des siècles anciens, et avaient été ressortis pour la grippe espagnole de 2019.
De même, les problèmes économiques ou politiques que crée le confinement ne sont pas d’aujourd’hui.
Commençons par l’économie. Le 25 mai 1720, lorsque le navire Le Grand Saint Antoine arrive à Marseille, le capitaine sait qu’il a des pestiférés à bord[1]. Mais les textiles qu’il transporte sont indispensables à l’économie marseillaise. D’abord pour le sieur Estelle l’échevin qui les a acheté, qui craint d’être ruiné. Ensuite pour les couturiers et tailleurs qui risquent ne pas avoir le temps de fabriquer pour la Foire de Beaucaire, qui commence le 20 juillet. S’ils ratent l’échéance, leurs marchandises leur resteront pendant un an. C’est ainsi qu’il fut décidé de réduire la période de confinement de 40 à 14 jours. Les autorités du port autorisèrent le débarquement des marchandises. Le 20 juin une première couturière meurt de la peste, débutant l’épidémie.
Ensuite le confinement vient d’une une contrainte policière par l’Etat. Le 31 juillet la ville de Marseille est fermée. , sans que cela arrête la propagation. Le Comtat Venaissin, c’est à dire la plaine à l’ouest du Vaucluse, entre Avignon et le Ventoux appartient encore au Pape représenté par un Vice-Légat. Celui-ci interdit le commerce avec le reste de la Provence le 21 aout. Il installe des troupes pour empêcher le passage de la Durance. Mais Cette frontière reste poreuse. La récolte de 1719 a été mauvaise dans le Comtat. Arrêter l’importation de céréale c’est créer la famine. Légalement ou par contrebande les marchandises continuent à passer. Inquiet que la contamination remonte le Rhône et atteigne Lyon puis Paris, le Régent de France envoie la troupe. Depuis la mort de Louis XIV en 1715, Philippe d’Orléans dirige la France, en tant que Régent et Tuteur du futur Louis XV. C’est le quart de l’armée française qui est mobilisée pour stopper la peste jusqu’en 1723.
Le 21 février 1721, un représentant du Régent rencontre le Vice-Légat à Mazan, à coté de Carpentras. L’objectif est de coordonner les efforts pour arrêter la peste tout en évitant l’asphyxie économique du Comtat.
Le Vice-Légat fait construire un mur de la Peste, à partir de mars 1721, pour empêcher les passages à travers les monts du Vaucluse. Tous les villages sont sommés de libérer des hommes pour participer à cet ouvrage.
La contrainte fur efficace, la peste ravagea Marseille et la Provence, mais elle épargna le reste du Royaume. Le confinement, ses accessoires et ses problèmes sont donc des sujets connus, anciens, qui ne sont nouveaux que parce nous avons oublié les drames du temps passé.

Progrès et vieilles recettes
Au dernier Café-Philo avant le confinement de cette année, nous avons été invités à réfléchir sur les avantages et inconvénients du progrès et de la modernité. Nous fûmes plusieurs à faire remarquer, que le progrès n’a guère aidé à arrêter l’épidémie du Covid. Il a fallu recourir à des vielles recettes, quarantaine, masques, hygiène renforcée pour limiter son expansion. Dans le débat entre conservatisme et modernité, le premier semblait l’emporter.
En même temps, pour faire fonctionner le confinement nous avons développé l’usage des outils numériques. Les petits commerçants se sont mis en « mode drive », prenant les commandes par SMS ou sur des sites internet. Les cadres et professions intermédiaires ont découverts les joies du télétravail. Les écoliers, et tous les étudiants ont appris à se passer de la présence des professeurs. Ils ont été remplacés par Pronote, les vidéos sur Youtube, les QCM (Questionnaires à Choix Multiples) en ligne. Pour les loisirs nous découvrons les joies de la VOD (Vidéo On Demande). A coté de Canal+, ion s’abonne à Netflix, Amazon Prime, OCS, la Cinetech, FilmoTv. Pour garder contact avec nos amis, nous développons l’usage des vidéo-conférences. Bientôt, Whatsapp, Skype, Fit Si, Zoom, et autres outils d’échanges n’ont plus de secrets. Jamais nous n’avons fait autant de progrès dans les techniques digitales.
En sommes, la question de savoir si la solution proposée est moderne ou non, n’a gère d’utilité. Ce qui importe c’est de résoudre le problème posé.
Malgré tout, beaucoup voudraient qu’il y ait un sens à l’Histoire, que la modernité soit synonyme d’amélioration matérielle ou sociale, ou au contraire qu’elle soit une course à l’abime, conduisant à l’inéluctable déclin de l’Humanité.
Pourtant même les économistes ont fini par reconnaître que nous sommes en rationalité limitée[2].
Cela signifie que pour acquérir un savoir, il faut travailler : lire, calculer, mémoriser, expérimenter. Nous avons du développer des artefacts, des outils pour nous aider à faire ce travail, qu’il s’agisse de l’écriture ou de l’ordinateur. Et plus nous avons d’outils, plus nous mesurons les limites de notre connaissance du monde. Les jours n’ont que 24h, nous finissons par fatiguer.
Malgré tous les progrès techniques réalisés, nous sommes comme le pauvre Job, nous ne comprenons pas pourquoi la mort, pourquoi le mal. Et si nous nous en plaignons, Dieu, ou la Nature continuent à répondre des paroles obscures pour nous rappeler notre finitude.
« Quel est celui-là qui obscurcit mes plans par des propos dénués de sens ? Ceins donc tes reins comme un homme. Je vais t’interroger, et tu m’instruiras. Où étais-tu quand j’ai fondé la terre ? Indique-le, si tu possèdes la science ! Qui en a fixé les mesures ? Le sais-tu ? Qui sur elle a tendu le cordeau ? Sur quoi ses bases furent-elles appuyées, et qui posa sa pierre angulaire tandis que chantaient ensemble les étoiles du matin et que tous les fils de Dieu criaient d’allégresse ? » (Job chap. 38, à 7).
[1] Collectif : la muraille de la Peste (Alpes de Lumière ; 1993) ; les éléments sur la peste de 1720 et ses suites viennent de cet ouvrage.
[2] Elinor Ostrom : Gouvernance des biens communs (De Boek Supérieur ; 2010)