Notre oncle Michel faisait la joie des enfants. Il arrivait toujours avec des cadeaux plus surprenants les uns que les autres et on oubliait qu’il avait eu une vie extraordinaire.

la famille Crévaux debout Thérèse et Arthus, assis Yolande, Michel, Alice

Michel Crévaux nait le 27 mars 1922 à Reims (Marne) de Arthus Crévaux (1888-1979) et Marie-Louise Cocagne (1891-1926). Marie-Louise meure quatre ans plus tard en mettant au monde sa dernière fille Françoise. Elle laisse quatre orphelins Thérèse l’ainé (1921-2013), Michel, Yolande (1923-2021), et Françoise (1926-1928) qui ne survit que deux ans à sa mère.

Le 4 aout 1928, Arthus se remarie avec Alice Hendel (1889-1972) à Enghien les Bains (Val d’Oise). Il décide de mettre ses deux filles en pension où elles passeront toute leur jeunesse, et ne conserve  auprès de lui que son fils Michel. Ils habitent à Bétheny dans la banlieue de Reims. La maison est située en bordure du terrain d’aviation militaire de Reims, et à proximité du poste d’aiguillage où Arthus travaille.

la maison de Betheny après sa destruction dans les années 1960

Arthus est cheminot. Il a commencé en assurant le triage, c’est à dire en poussant les wagons pour constituer les trains. Il est ensuite devenu aiguilleur. A l’époque l’aiguillage des trains se fait manuellement, soit sur la voie, soit par des commandes électromécaniques depuis un poste d’aiguillage.  Il deviendra chef de poste en fin de carrière. Il travaille en 3/8 ce qui lui laisse des loisirs  qu’il occupe souvent avec un deuxième emploi. Il tourne les bouteilles de champagne chez son ami Fernand Brisefert dont la femme Zoé est une cousine. Il travaille aussi dans un garage ce qui lui permet d’acheter sa première voiture.

La maison de Bétheny dans les années 1930

Le terrain d’aviation qui jouxte la maison est l’un des plus important de France. A partir de 1940, il est occupé par les allemands qui en font un important site de réparation des avions, et y installent une école de pilotage. L’armée américaine décide de le bombarder. Le 26 septembre 1943, entre 17h00 et 18h00, quarante forteresses volantes bombardent le terrain. La maison des Crévaux est détruite. Peu après (ou peu avant ?) Arthus part en retraite et s’installe à Evergnicourt (Aisne).

Michel est déjà parti depuis plusieurs années. Il est entré à la SNCF comme son père à la fin des années 30. Il est apprenti-ajusteur aux ateliers de Choisy le Roi (Val de Marne). Cet atelier répare les locomotives, qui après l’invasion allemande, partent en Allemagne. Il souhaite ne plus travailler pour l’occupant et décide de rejoindre la France Libre avec un ami. 

Michel en uniforme

Il passe la ligne de démarcation en février 1941. Il pense alors partir en Espagne pour rejoindre l’Angleterre. Sur le conseil de sous-officiers de gendarmerie qui gardent la ligne, il décide de s’engager dans l’armée d’armistice dans un régiment d’Afrique du Nord. Il rejoint Fréjus, puis Marseille, où il embarque sur le Sidi-Brahim qui va à Alger. Il fait ses classes à Blida dans l’artillerie. En sortie de classe, il doit choisir entre les sections d’observation et celles de transmission. Il opte pour les transmissions. Il fait donc l’essentiel de la guerre à tirer des lignes, monter des poteaux pour assurer les transmissions dans la première armée dirigée par le général de Lattre. Il se fait des amis en particulier Xavier Longobardi (1923-2010) qui restera en lien avec Michel toute sa vie. Le futur maître de la peinture abstraite s’est engagé en novembre 42 et va rester 3 ans sous les drapeaux. Il dessine ses compagnons et fera en particulier trois portraits de Michel, qu’il lui donnera ainsi qu’à sa soeur. 

Soldats indigènes

Michel garde le souvenir que ce sont les soldats Magrébins (algériens, marocains) qui étaient en première ligne. Son régiment est engagé en Tunisie, dans les montagnes, remonte vers le Djebel Djajouan, où les allemands résistent. Enfin il participe au défilé de la victoire le 1 mai 1943 à Tunis. Il retourne à Blida, participe à un voyage pour aller chercher du matériel à Casablanca, et Joinville. Il participe ensuite à la campagne de Corse et débarque à Porto Vecchio. Puis il rejoint l’Italie (Civita Vecchia), et descend sur Naples. De là il embarque vers Cavalaire (Var), pour participer au débarquement de Provence. Le gros des troupeaux a débarqué au Dramont dans le Golfe de Saint Tropez, et suit la route Napoléon qui traverse les Alpes (Maxime Fouque, son futur beau-frère attendait le passage des troupes au pont de Mirabeau). La première armée remonte vers Strasbourg, en passant par  Gap, Oyonnax, et arrive à Besançon. Dans l’hiver 44/45, les allemands résistent dans la poche de Colmar. Michel est installé à Blotzheim la Forêt, puis Colmar.

Libération de l’Alsace : Michel à coté de l’alsacienne de gauche
Michel devant son avion d’observation

Il est choisi pour monter comme radio dans un piper club d’observation. Il travers le Rhin et passe en Forêt Noire, descend vers le Bodensee (Freundenstadt), participe à la confiscation d’un dépôt allemand, continue vers le Wurtemberg et SiegeMaringen, et va au Tyrol à Breggen. Là, la démobilisation des troupes commence. N’ayant pas de famille, il accepte de faire 6 mois de plus, et travaille dans un magasin d’armurerie, près de Innsbruck. Il fait du ski, des ballades en foret, et est enfin démobilisé lui-même fin 1946. 

Rendu à la vie civile, il cherche un travail. Son oncle André Cocagne (1894-1981), le frère de sa mère Marie-Louise, l’accueille à son retour. André habite avec sa femme Marcelle rue de Picpus à Paris. Cet ancien marin a été gazé et trépané pendant la grande guerre. C’est un ouvrier mécanicien membre du Parti Communiste. Il travaille chez un sous-traitant de Renault. Il  conseille à son neveu d’entrer dans une grande entreprise. 

André Cocagne

Michel passe alors le concours d’ajusteur chez Renault, qu’il rate. Il va voir son examinateur et lui explique sa situation. Celui-ci le propose à l’embauche comme OS en tant qu’ancien combattant. Six mois plus tard, il repasse le concours d’ajusteur, le réussit et entre alors à l’atelier des forges à Billancourt, en 1947. Dès 1948, il entre à la CFTC, et très rapidement il devient délégué syndical. Il participe en 1950, à une brigade Renault, envoyée en Yougoslavie pour aider à la reconstruction du pays. Il loge alors à Pionnirski Grad à coté de Belgrade (aujourd’hui en Serbie). Il fera aussi un voyage humanitaire au Mali.

Femmes au Mali

En 1959, il s’installe dans son appartement du Square de l’Alliance à Massy (Essonne). En 1960 ou 1961, il aide son père à acheter une petite maison à Saint-Prix (Val d’Oise). Vers la même date, c’est la scission de la CFTC. Michel entre à la CFDT, avec les troupes des grandes entreprises. Il va aussi s’inscrire au Parti Socialiste. 

Les enfants de Yolande devant le square de l’Alliance à Massy : Magali, Thierry, Françoise

En 1962, c’est l’indépendance de l’Algérie. Ses deux sœurs rentrent en France avec leur famille. Maxime son beau-frère, le mari de sa sœur Yolande doit remonter sur Paris en espérant que son entreprise lui propose un nouveau travail. Michel accepter d’héberger la famille dans son petit appartement de trois pièces à partir de septembre. Il garde une chambre pour lui, les trois enfants sont dans l’autre. Maxime et Yolande dorment sur un canapé convertible dans le salon-salle à manger. La cohabitation va durer tout l’année scolaire.

Ensuite il reprend sa vie solitaire (il n’aura jamais de compagne à ses cotés). Très inquiet de l’avenir, il ne cesse d’économiser. Pour payer le moins cher possible, il  part chaque dimanche aux puces de Montreuil pour essayer d’y faire des affaires. Lorsqu’il va chez ses sœurs il a toujours un ou deux sacs remplis de cadeaux qui font la joie des neveux et nièces. Il ne se sépare de rien par ailleurs et son appartement est de plus en plus encombré d’objets divers.

manifestation CFDT

Il cherche toujours de nouveaux placements pour faire fructifier son argent, change de banque pour en trouver de meilleurs. Lorsque ses finances seront mises sous tutelle, il a 35 comptes répartis sur 7 banques. En 1971 son père quitte sa maison de Saint Prix pour partir en maison de retraite en Touraine avec sa femme. Michel décide de louer la petite maison à un jeune couple portugais. Toujours à la recherche d’économie il ne déclare pas ce revenu, et le couple en profite pour ne pas payer toutes ses échéances pendant la dizaine d’années où il occupe la maison.  

Ses nièces entourent Michel : Magali, Michel et Françoise

En 1971, l’atelier des forges de Billancourt est dispersé. Il passe au service CKD (exportation des pièces) où il aide grâce à ses compétences en langues étrangères. Il devient cadre. En 1977, le service est envoyé en Normandie où il s’installe quelques années. Enfin en 1982, il est mis à la retraite. 

De 82 à 2000, il mène une vie paisible de retraité. Il voyage, visite la Grèce, la Turquie, les Etats-Unis.  Il continue à voir ses anciens amis de l’armée ou de la CFDT, il fait de fréquents séjours chez ses sœurs. A Massy, c’est un pilier des activités sociales de la commune. Il fait partit des anciens combattants. Il participe aux activités de la société des amis de Robert Desnos qui milité pour garder le souvenir du poète résistant mort en camp de concentration à Terezin en Tchéquie. Il finance les Orphelins d’Auteuil.

Avec Laurent Fabius à un Congrès du Parti Socialiste

Mais sa santé se dégrade. Il est atteint de démence vasculaire, une maladie proche de l’Alzheimer. Elle se traduit par une perte de l’activité cérébrale du fait d’AVC successifs, et évolue par pallier. Vers 1997, une première tentative d’entrer dans une maison de retraite a lieu. Il entre à la maison de la Tour d’Aigues proche de la ferme où habitent Yolande et Maxime. Il en sort au bout  de 3 mois à peine, ne s’acclimatant pas à ses compagnons « qui parlent le provençal et qu’il ne comprend pas ». Finalement, en 2000, une crise d’épilepsie grave le laisse aphasique. Il ne peut plus parler, marcher, manger seul, il ne reconnaît plus ses proches. Il  est mis sous tutelle de son neveu Thierry Fouque. Il est installé alors dans la maison de retraite de Massy avec l’aide de l’assistance sociale de la ville qui le connaît bien. La régularité des soins lui permet de retrouver un peu de santé. Il mange à nouveau seul, reconnaît ceux qui viennent le voir même si les visites sont de plus en plus rares. Finalement il décède le 20 aout 2005 à l’hôpital des Magnolias de Ballainvilliers. Ses sœurs Yolande et Thérèse l’enterrent dans le cimetière de Bétheny où sont déjà son père et ses deux femmes.

Crédits

Toutes les photos illustrant cette chronique viennent de la collection de Michel Crévaux.

Lavis de Xavier Longobardi représentant Michel (extrait)