Le musée lapidaire d’Avignon a été installé dans l’ancienne église des jésuites. Ont été rangés dans ce lieu des sculptures et divers objets de l’antiquité, trouvés ou rapportés dans le Vaucluse.
Au centre, trône la Tarasque de Noves. Cette sculpture a été trouvée en 1849 ou avant (il y a un doute) à Noves, village au sud de la Durance, face à la Chartreuse de Bompas. Elle aurait été faite vers 50 avant notre ère, bien que sa datation soit discutée. Le nom de Tarasque, un monstre féminin dompté par Sainte Marthe été choisi pour désigner cette statue. Il est surprenant. L’animal exhibe un énorme pénis et il n’y a pas de doute sur son genre masculin. Cette nomination était-elle un moyen en féminisant la bête de la rendre moins inquiétante ?

La statue représente un animal à tête de loup, crinière et pattes de lion. Il a dans ses griffes, deux têtes barbues aux yeux clos. Dans sa gueule il dévore un homme dont le bras dépasse.
Gérard Poitrenaud dans un article très documenté[1] propose de l’identifier au Dis Pater des celtes.
Les gaulois croyaient que tout venait de la nuit et repartait à la nuit. Ils croyaient aussi à l’éternel retour. A notre mort, le Dis Pater nous dévore et nous emmène dans la nuit. Il est le loup, l’animal du silence et de l’obscurité, qui chemine dans l’ombre des sous-bois. Il est aussi le lion, avec sa puissance, ses griffes et ses crocs qui déchirent les corps des humains. C’est le prédateur ultime à la fois loup et lion, celui qui facilite le passage entre notre monde et celui de la nuit. En même temps, son phallus dressé en fait un dieu de la fécondation. Les hommes qu’il mange renaitront grâce à ce Dieu. D’ailleurs les têtes entre les griffes sont calmes, la main qui sort de sa gueule semble caresser sa patte. Ils savent que le monstre ne leur veut pas de mal.

Une question de détail sur la statue : comment l’artiste a-t-il su à quoi ressemblent un lion et un loup ? Nous n’avons plus aucune de ces bêtes autour de nous et les voyages en avion n’existaient pas.
Pour le loup, la réponse est facile. Les meutes de loups ont vécu dans les forêts françaises jusqu’aux années 1930[2]. Il revient depuis une vingtaine d’années avec l’ensauvagement de nos contrées, due à la déprise agricole. Profitant du pullulement des marcassins et d’une reprise de l’activité pastorale, il vient chercher sa nourriture de plus en plus près de nous.
C’est plus compliqué pour le lion. Les lions de la grotte Chauvet n’avaient pas de crinières et de toute façon, ils ont disparu bien avant l’époque des gaulois. Des traces de lions modernes sont présentes jusqu’au début de l’ère chrétienne, dans l’art et la littérature (Xénophon, Pline l’Ancien, entre autres)[3]. Pour l’instant, les zoologues pensent qu’il ont pu survivre jusqu’au début de l’ère chrétienne dans les plaines de l’Ukraine et de la Hongrie. D’une manière ou d’une autre les habitants ont gardé le souvenir du lion, dans l’art antique et même médiéval. Les gaulois ont donc pu les rencontrer.


Pourraient-ils revenir ?
Juste après la crise du Covid, j’ai assisté à une conférence de Jean Jouzel, ancien vice-président du GIEC,[4] à Saint Michel l’Observatoire. Elle avait lieu à l’occasion de la sortie de son livre coécrit avec Pierre Larrouturou[5]. J’avais été frappé par une conséquence du changement climatique auquel je n’avais pas pensé. Le réchauffement provoque une descente du désert dans les zones tropicales ou équatoriales. Elles deviennent progressivement impropres à l’existence d’une vie végétale ou animale. Si rien n’est fait toutes les espèces disparaitront, car elles seront incapables de migrer par leurs propres moyens. En même temps le climat de la Provence sera aussi modifié. Le réchauffement provoquera une augmentation de l’évaporation de la Méditerranée. Les orages s’accroîtront provoqués par la rencontre de l’air froid du Mistral et des nuages venus de la mer. La météorologie locale se rapprochera du climat tropical actuel.
Alors pourquoi ne pas imaginer des réserves destinées à conserver la biodiversité que l’on remplira d’animaux venus de l’Afrique subsaharienne. Des gorilles des montagnes trouveront refuge dans les gorges de l’Aiguebrun. Et des antilopes et des lions viendront boire dans la Durance au coté des biches et des loups au gué de Bompas.

Ce sera une forme de l’éternel retour. Nous ne reviendrons pas au temps de nos pères mais à celui de nos ancêtres les gaulois.





[1] © 2015 Gérard Poitrenaud « un dieu père meurtrier » (https://www.academia.edu/11326599/Un_dieu_père_meurtrier_Regards_sur_le_Dis_Pater_celtique )
[2] Site https://www.ferus.fr/ : organe de communication de l’Association nationale pour la défense et la sauvegarde des grands prédateurs
[3] Marco Masseti et Paul P.A.Mazza « western european quaternary lions : new working hypothèses 2013 The Linnean Sociéty of London biological journal of the linnean Society, 2013, 109, 66-77
[4] GIEC : Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat
[5] Jean Jouzel et Pierre Larrouturou Pour éviter le chaos climatique et financier (Odile Jacob ; 2017)
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